dimanche 6 mars 2011



INTERVIEW AVEC EMILIE MULLER, PHOTOGRAPHE SUISSE


Comment est-ce que tu es arrivée à la photographie?
J'ai toujours su que je voulais faire quelque chose dans le domaine artistique. Je savais pas bien quoi ni comment.
J'imagine qu'une part essentielle de mon intérêt découle de mon premier "shooting". J’avais 11 ans, je photographiais mes Barbies sur leurs chevaux, dénués de tout rapport d’échelle, dans un champ proche de ma maison. Quand j’y repense, 20 ans plus tard, j’ai de la peine à réaliser que je n’ai jamais cessé de produire depuis ce jour, poursuivant mon intention de rendre les choses plus belles, à mon goût.


Quel a été ton parcours depuis le moment où tu as commencé à photographier, et qu'est-ce que tu fais en ce moment?
Après avoir fait mon bac artistique (Ecole nouvelle de la Suisse Romande), je me suis inscrite à l'école Céruleum, afin de préparer un dossier pour rentrer dans une école d'art.
C'est très tard dans l'année 2000 et après avoir découvert l'exposition des diplômes de l'année des frères Turin et de Sandrine Pelletier ; que je me suis dis: c'est ça que je veux faire. Une fois dedans, j'y ai passé 6 ans (4 pour le bachelor, 2 pour le postgrade).  Mon coeur balançait beaucoup entre graphisme et photographie (du reste, j'ai été l'assistante de François Rappo pendant mon postgrade).
Durant toutes mes études j'ai expérimenté des choses en studio, assez construites, bourrées de références mais je ne me retrouvais pas là-dedans. Je me disais que je préférais être coiffeuse plutôt que de faire ça toute ma vie.... Jusqu'au jour ou j'ai fait la rencontre des 3 soeurs de mon diplôme. A ce moment , je suis partie dans la direction de ce que j'aime faire par dessus tout: être avec les gens et laisser une trace concrète. Se rapprocher un maximum de la vérité tout en montrant, à ma façon, ce que je trouvais beau.
Après mes 2 reportages, à la fin de mes études, j'ai eu plusieurs expositions (Diplôme ECAL, Elac, Lausanne, 2005 / IN OUT, Mudac, Lausanne, 2006 / Images ’06, Vevey, 2006 /Juriert-Prämiert, Concours Fédéral de Design, Museum für, Gestaltung, Zürich, 2006 / Push-up, Standard- Deluxe, Lausanne, 2007 / Des Seins à dessein, Espace Arlaud, Lausanne, 2010). Parallèlement, j'ai fait des petits jobs pour gagner des sous. Puis j'ai rejoint mon fiancé, Erol Gemma à Londres parce qu'il me manquait trop et que je ne savais pas vraiment encore comment j'allais gagner ma vie avec la photographie.
Une fois là-bas j'ai posté mes images (que j'avais réalisé de mes copines et de 2 filles que j'avais photographié avant de partir) sur une sorte de FB de la mode. Et peu de temps après, un type du Connecticut m'a dit qu'il avait une fille.

"hello how are you. its a pleasure to make your acquaints, here is the girl i was telling you about over MM her name is Kristen Ottea, she is 17years old from Texas. currently i have her placed with Premier in London and Ford in NYC... she is getting HUGE response. and right now i am looking to get her tested wile she is in London... she totally gives you that throw back to the 1980's with Cindy Crawford and Stephanie Seymour.
her measurements are: she is 5ft 10in-bust 33-waist 24-hips 34-eyes brown-hair brown"

J'ai cru que c'était un spam et j'allais effacer quand Erol m'a dit "attends regarde" et voilà…c'était parti. J'avais toujours réussi à rendre belles et spéciales ma soeur et mes copines. Et je rêvais qu'on me donne la chance de faire des photos avec une VRAIE fille de Magazine. C'était ça qu'il me fallait!
Le shooting avec Kristen du Texas réalisé, j'ai envoyé ces photos aux agences de mannequins et petit à petit j'ai travaillé avec des agences de plus en plus renommées.
Une fois en Suisse j'ai directement trouvé du boulot grâce au Portfolio engrangé à Londres.
Je photographie autant les modèles que les filles/gens de tous les jours avec la conviction de rendre accessible la photographie de qualité. Faire que ça ne soit pas un luxe.




Je crois que la photographie est surtout une question de fascination. 
Qu'est-ce qui te fascine?
Rien ne me fascine en particulier mais je comprends ce que tu veux dire. Ce qui n'arrête pas de m'impressionner et de m'émouvoir, c'est ce qu'il se produit à la suite de la prise d'une image. Je ne contrôle que très peu de choses lors de la prise de vue, je travaille instinctivement, de manière quasi hypnotique, c'est l'élément de surprise qui se révèle à la lecture des images qui m'enthousiasme. Et comme gratification: rendre heureux les gens que j'immortalise et fiers de leur image (même ceux qui détestent être photographiés).  Aussi cliché que ça puisse paraître: voir l'étincelle dans leurs yeux donne un sens à ma vie.

Tu as réalisé il y a quelques années un documentaire sur une famille balkanique. Comment s'est déroulé ce projet et qu'est-ce qui t'a poussé à t'y intéresser?
La rencontre s'est faite à la piscine d'Yverdon. Les trois soeurs étaient ensemble; mon copain de l'époque (qui n'avait pas vraiment la fibre artistique) me dit  "je suis sûr que t'as envie de les photographier". Il avait vu juste et bien que jusqu'à présent  je restais confortablement en domaine connu (en photographiant mes connaissances), je me suis lancée. Pour la première fois je donnais mon numéro à de parfaites inconnues. A l'époque j'avais une parution dans Edelweiss pour les 150 de Louis Vuitton en collaboration avec l'écal. Je les ai invitées à jeter un coup d'oeil au kiosque et elles m'ont rapidement rappelée. Je les ai photographié à l'occasion d'un cours avec Natacha Lesueur puis ensuite nous avons passé beaucoup de temps ensemble. Par leur biais, j'ai découvert une culture qui m'a totalement fascinée. Ces sentiments exacerbés, cette musique qui fusionne fête et nostalgie, l'importance viscérale des liens familiaux. Immergée dans ce cadre, j'ai appris à me connaître à travers elles. Je les ai suivies durant 5 mois. Nous sommes  allées en Serbie une première fois pour le diplôme puis ensuite au Montenegro, au bord de la mer avant de retourner une seconde fois dans leur pays pour un baptême.




Tes images documentaires sont très esthétique et teintées d'une certaine nostalgie. Il y a clairement un lien entre la photo documentaire et la photo de mode que tu pratiques actuellement. Comment définis-tu ce lien entre documentaire et mode?
Il y a un intérêt marqué pour l'intemporel qui guide ma manière de photographier quelque soit le sujet. Photographier donne l'illusion de l'éternel tout en étant par nature lié à l'éphémère. Cela étant dit, mon plaisir et mon besoin est de sortir ce qui est en moi, je ne cherche pas à intellectualiser ce que je fais, je le fais. Ce sont des images et leur interprétation ne peut être que subjective.

Tes photos sont très sincères, très naturelles. Comment abordes-tu la lumière dans tes photos?
Je travaille rarement la lumière, je "danse" autour, me laisse guider par ses changements et la capture quand elle complète le reste à mon goût.

Tu es très productive, tu as travaillé à Londres entre autres, où en es-tu en ce moment dans tes projets?
Fin 2010, j'ai collaboré avec Noémie Gygax à l'élaboration de "de Fifi à Poppy" qui documente justement mon activité photographique*. Mes projets sont d'une part remettre le pieds à l'étriller du reportage en travaillant avec Erol. En dehors de ça, j'ai une variété de projets commerciaux/éditoriaux qui aboutiront ces prochains mois. J'écoule également ce que j'utilise pour habiller mes modèles en vidant mon dressing sur "Seconde Peau" (http://secondepeau.tumblr.com) pour racheter d'autres tenues. J'aime que les choses se transmettent.

Tu as travaillé pour d'importantes agences, comment est-ce que tu procèdes lorsque tu dois concevoir une série?
Quand tu dois réaliser une série pour une marque ou un magazine, tu choisis la fille. Tu contactes l'agence et tu sais tout de suite si elle n'est pas à l'autre bout du monde. Si c'est pas le cas; On te demande le budget et tu sais si c'est disponible pour toi ou pas. Pour un test. Budget ou non. Au début l'agence te donne les premier filles qu'il ont sous la main ensuite quand t'as "fais tes preuves"tu peux commencer à les choisir de plus en plus. Tu donnes tes dates et ils t'envoient un package , en suite tu choisis celles avec qui tu aimerais travailler. A la fin tu demandes directement la fille que tu veux et ils te l'envoie. Au final, je me rends compte qu'il y a vraiment un type de fille que j'aime. Une beauté récurrente (du reste j'en parle dans mon dernier travail "de Fifi à Poppy"). Le lieu m'importe moins.




Le lien que tu tisses avec les modèles semble être très important, comment se passe ta relation avec elles lors d'un shoot?
Le rapport s'installe naturellement. Je ne réfléchis pas au résultat final et n'impose donc aucune pression au modèle, je lui dit qu'il s'agit d'une rencontre et qu'en s'astreignant de limites nous allons laisser "la magie" opérer. Et à chaque fois j'en suis moi-même surprise. Je ne m'en lasse pas . C' est une question de confiance, je ne recherche pas à imposer une expression, une pose, je recherche une certaine sincérité, un lâcher-prise de sa part.



Pour terminer, quels sont tes projets futurs?
Everyday is a new day.


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* (Structuré à la manière d'un rapport annuel visuel, il se compose de diverses sections qui font écho aux thèmes et à la méthodologie de son travail. Cette dernière se distingue largement de la photographie de mode classique; Emilie réalise elle-même maquillage et stylisme (en utilisant les vêtements de jeunesse de sa mère), produit les images à son domicile et dans les alentours (pour les images en extérieur), ne s'encombre pas d'assistants. Cette radicalité lui permet de focaliser sur la modèle  tout en définissant un territoire naviguant entre la photo de mode et le portrait, l'étude sociologique d'une génération de femmes et la création d'un style original tant au niveau photographique que vestimentaire. Le concept éditorial imaginé conjointement à Noémie Gygax présente une analyse détaillée du territoire précité. En utilisant le rapport annuel, comme blueprint, Noémie Gygax s'est affranchie des codes de présentation habituels de la photo de mode. Structurée en cahiers indépendants imbriqués l'un dans l'autre, l'édition décortique les différentes couches de l'arsenal de production et analyse les enjeux de l'entreprise Emilie Muller. )


MERCI
EMILIE MULLER
 
SON TRAVAIL ICI


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